CHRONIQUE BOTANIQUE N°54 UNE MOSAÏQUE DE TULIPES AU JARDIN « FRANÇAIS »

A Pâques, il y a quelques semaines à peine, j’ai trouvé une charmante salutation sur mon smartphone de la part de ma belle-sœur. Le message était accompagné de photos de champs de tulipes ; ces longues bandes de fleurs de toutes les couleurs. Avant même de lire son texto, je la croyais déjà en vacances en Hollande. Surprise ! Non, elle était bien chez elle et les photos avaient été prises… en Haute Provence ! Donc les agriculteurs du Sud après avoir longtemps produit des herbes aromatiques se mettent aussi à faire grossir des bulbes de tulipes? J’ai ainsi appris que ces tulipes ne sont en quelque sorte que des « pensionnaires » d’une année dans les Alpes de Haute Provence. Venues en état de bulbilles de Hollande, elles passent seulement leur deuxième année ici pour grossir. Pendant l’été chaud, on les met au frigo, puis elles retournent dans leur terre natale pour se peaufiner pendant une troisième année. Les photos sont plus romantiques que ce déroulement industriel !

Production de bulbes de tulipe en Haute Provence

Les tulipes de Haute Provence en tête, je fis ma promenade de Pâques au Jardin des Plantes et plus précisément dans la partie du Jardin « Français », côté Prémartine. J’étais sûre de trouver comme tous les ans au mois d’avril de belles mosaïques de tulipes aux pieds des rosiers. Ces compositions sont toujours une découverte émouvante faite de teintes et formes délicates.

Le tableau des tulipes qui se déclinera d’innombrable fois

J’ai photographié au hasard un détail de la grande mosaïque qui se déclinera encore et encore dans les parterres : des tulipes rose vif aux pétales pointus, des  tulipes rouges aux pétales arrondis et sur des tiges plus courtes qui semblent jouer le rôle d’une couleur de fond, des  tulipes violettes marbrées de blanc ou des blanches marbrées de violet  ayant une forme de coupe généreuse, puis des noires, en majorité encore très fermées et arrivant plus tard à la hauteur des tulipes roses et violettes. Les rares noires déjà ouvertes montrent des bouts de pétales frangés. L’ensemble est d’une belle harmonie. Sur la droite de la photo, on distingue une fleur orange, une intruse, dont on trouve quelques exemplaires, c’est sans importance, plutôt drôle.

Le jardin à la française avec ses mosaïques de tulipes

La mosaïque entoure la grande amphore blanche, puis la pelouse ronde, elle court ensuite au pied des rosiers tiges, autour de tous les parterres découpés d’une manière géométrique et  rigoureusement symétriques de part et d’autre de l’allée centrale. Le vent du printemps joue avec les tulipes, les fait bouger et les met en accord avec les deux  belles statues blanches aussi en mouvement.

Les parterres longs du jardin à la française bordés de mosaïque de tulipes

On a du mal à imaginer que ce jardin « français » composé avec tant de rigueur a été par deux fois un potager. Tout d’abord après la création de  la Société d’Horticulture du Mans  en 1851. Ici, près de la rue Prémartine, furent achetés les  premiers 116 are de terrain et les sociétaires commencèrent par la production de légumes et de fleurs. Tous les ans avait lieu une fête et un concours des meilleurs produits. Le terrain que nous connaissons aujourd’hui jusqu’au chemin Sinault fut constitué jusqu’en 1861. L’achat des 5 ha de terrain du jardin des plantes à l’anglaise allant jusqu’à la rue de l’Eventail  suivit en 1864. La deuxième période pendant laquelle le jardin « français « fût utilisé comme potager se situe pendant la 2° guerre mondiale et après la guerre faute de nourriture. Nous avons déjà vu ce phénomène dans le jardin du proviseur du Lycée Montesquieu. En1980 le chef jardinier du jardin des plantes décide que le jardin « français » pratiquera la « mosaïculture », des mosaïques de tulipes au printemps, de fleurs d’été à la belle saison. Ceci représente un immense travail  de préparation des bulbes et plantes et une plantation de précision.

Les détails d’une fleur de tulipe

Je prends au hasard une des tulipes rose vif. C’est une tulipe de jardin ou tulipa gesneriana dont il existe plusieurs milliers de cultivars. Elle appartient à la famille des liliacées, est une bulbeuse, cultivée industriellement comme nous avons vu au début de la chronique.  La tulipe possède comme la plupart des  fleurs une corolle  (intérieur de la fleur) avec des pétales et un calice (extérieur de la fleur) avec des sépales. Il est intéressant de constater que les deux éléments, pétales et sépales, sont identiques en forme et couleur chez la tulipe. Les botanistes ont inventé pour ce cas le mot tépale. Seul leur emplacement distingue les tépales. En regardant la tulipe rose, vous voyez bien les tépales intérieurs et extérieurs, ainsi  que le stigmate assez tordu qui cache une des 6 étamines. Le fruit sera une capsule à trois loges dans laquelle vont évoluer les graines. Mais ce ne sont pas les graines que nous achetons en jardinerie, mais des bulbes produits par multiplication végétative.

Planche de tulipes botaniques

A côté du nombre incalculable de la tulipa gesneriana existent toujours quelques espèces de  tulipes botaniques, ce qui veut dire qu’elles n’ont subi aucune transformation par l’homme. Elles peuvent être sauvages, mais aussi être cultivées.  J’ai trouvé une planche  de tulipes botaniques dans une très vieille « Flore Complète de France, Suisse et Belgique «  du début du 20° siècle par Gaston Bonnier, alors professeur de botanique à la Sorbonne. Bonnier décrit 7 espèces ; clusiana et oculus-solis ont été introduites au 17° siècle et se sont naturalisées ensuite. Toutes les espèces sont déjà très rares au début du 20° siècle, mais le botaniste ne parle pas de danger de disparation  comme c’est le cas aujourd’hui.

La plus connue de ces tulipes botaniques est une petite fleur jaune marbrée de vert qu’on trouve souvent chez les collectionneurs de plantes : tulipa sylvestris. On compte encore aujourd’hui une dizaine d’espèces de tulipes botaniques en France et une centaine dans le monde entier. L’application des pesticides sur les talus des routes  et la cueillette immodérée des promeneurs ont mis en danger la plupart des espèces. Mais depuis quelque temps on essaie de leur donner une nouvelle chance et un abri sûr dans les vignobles de culture biologique. Une curiosité  doit encore être citée ici, une tulipe qui s’est échappée des jardins et qui est devenue sauvage : tulipa agenensis. Elle ne doit en aucun cas compter parmi les botaniques. 

Une céramique décorée d’une tulipe dans une mosquée d’Istanbul

Je me vois encore courir avec mon appareil photo d’une tulipe à l’autre peinte sur les céramiques couvrant les murs intérieurs de la mosquée Laleli près du grand bazar  à Istanbul. Lale veut dire tulipe en turc. Ainsi j’ai pu constater que la passion de la tulipe dont l’Europe occidentale fut saisie au 17°siècle a existé bien avant en Turquie déjà. La tulipe, originaire des montagnes du Pamir et de l’Himalaya,  fut découverte par des peuples turcs au 8°siècle déjà, puis apportée plus tard à la cour des Sultans. Nous pouvons observer que cet engouement  existe aujourd’hui encore. Depuis 2006 Istanbul  organise un grand festival de la tulipe au mois d’avril pour exprimer la place extraordinaire que cette fleur a eu depuis le Moyen Âge dans la culture turque. Elle est le symbole du renouveau, les Sultans la portaient à leur turban. Comme en Perse, on la retrouve dans les miniatures, sur tous les textiles, du châle jusqu’au tapis précieux et surtout sur les céramiques qui décorent les fontaines des jardins aussi bien que certaines mosquées. Si vous voulez décorer votre piscine de beaux carreaux de tulipe, les céramiques d’Iznik sont à votre service.

Tulipe noire déployée, seul son cœur est resté noir

Au 16° siècle, quelques bulbes qui étaient pourtant protégés, ont trouvé le chemin vers l’Europe occidentale. En Hollande du début du 17° siècle, le prix d’un bulbe pouvait s’élever au salaire annuel d’un artisan. Ceci a ruiné la vie de bien des gens fascinés par ces spéculations. On parlait alors de « tulipomanie »,  jusqu’à ce qu’en 1637 le cours s’effondra, car les horticulteurs avaient commencé à multiplier les bulbes. Malgré ce fait, la tulipe est restée pendant longtemps une fleur précieuse. Nous pouvons l’observer dans  les natures mortes de l’époque, comme les bouquets exubérants de peintres flamands tel que Jan Brueghel le Jeune ou  comme les vanités dont une très célèbre de Philippe de Champaigne est la pièce majeure des collections du Mans. 

Le 19°siècle a produit beaucoup de récits sur la « tulipomanie » ou tout simplement sur les débuts de la tulipe en Hollande. Comme nous avons une tulipe noire dans la composition du jardin « français », je  ne voudrais pas oublier de mentionner qu’Alexandre Dumas et Auguste Maquet et ont composé un thriller sur la création de « La Tulipe Noire ».   

        


DEVINETTE 54

J’ai traversé le tunnel qui sépare le jardin « français » du jardin des plantes et au bord du ruisseau j’ai trouvé cette plante.

SOLUTION DE LA DEVINETTE 53

Il s’agit d’une salicaire, lythrum salicaria.

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